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N'en jetez plus.
17 mars 2009

Tout est escamotage.

Je suis à ma fenêtre, je divague gentiment, mes pensées dégoulinent le long de mes cheveux, et j'en viens à me souvenir de toi tout d'un coup. Je ne sais pas comment j'en suis arrivée là. Je n'ai pas pu remonter à la source, tisser des liens, dénouer l'écheveau de mes idées. Mais cela n'a pas d'importance.
Je ne suis pas triste.
Ce n'est pas l'image d'un homme affaibli que je garde de toi, jaune comme un coing, exception faite des veines bleu violacé parcourant tout ce que tes vêtements devenus si vastes pour toi laissaient entrevoir de tes membres amaigris, desséchés, mais celle d'un homme digne, droit dans ses bottes malgré ses perversions, ses lubricités, ses vices enfouis, mal dissimulés, prêts à nous sauter au visage à chaque tiroir ouvert, chaque sacoche renversée, comme si tu regrettais de n'avoir pas osé t'affranchir de ton image de personne respectable, de ton masque social, celle d'une force de la nature en quelque sorte, qui aurait préféré crever la gueule ouverte plutôt que d'avouer que tu souffrais. Geindre, ce n'était pas ton genre. Et moi qui me plains tout le temps, quand il pleut, quand je me trouve laide, quand j'ai une peine de cœur, quand je perds mes clefs, quand j'ai la grippe, quand je me casse un ongle, quand je rate mon bus, je ne peux que t'admirer. Je t'ai sûrement considéré un temps comme quelqu'un d'intransigeant, d'inexpressif, de dur, mais en grandissant j'ai appris à déceler toute la sensibilité que tu ne voulais pas afficher. Personne n'aurait su comment t'atteindre, tu ne tendais jamais le bâton pour te faire battre, tu ne paraissais pas vulnérable.
Tu étais drôle, à ta manière, avec tes charades à tiroirs, qui te faisaient tant rire et qui laissaient presque tout le monde dubitatif.
Les discussions tournaient souvent en rond, parce que nos idéologies étaient incompatibles, mais pour moi tu faisais des efforts, tu ravalais tes "négresses" qui hérissaient le poil de la réactionnaire en culotte courte que j'étais.
Il n'y avait d'ailleurs que pour moi que tu changeais ton vocabulaire, que tu te radoucissais, tu te moquais bien de choquer, d'outrer, de vexer les gens, l'opinion des autres tu t'en cognais bien, tu avais ton air supérieur, tu étais bien au dessus de tout cela, mais pour moi tu faisais des compromis, tu me respectais comme rarement les adultes respectent les enfants, tu accordais beaucoup d'importance à mon estime.
Tu croyais énormément en moi, tu as toujours cru en mes capacités, en mon potentiel, tu étais béat devant mon orthographe encore plus parfaite que la tienne, ce qui constituait un exploit en soi, de te surpasser dans ce domaine, tu me faisais faire les dictées de Bernard Pivot à dix ans et je ne faisais presque jamais de fautes, mes premières histoires ont pris forme sur ta machine à écrire, tu me disais que tous tes livres seraient à moi. Ils sont toujours dans ton bureau. Il y en a tellement, où pourrais-je les mettre? Et puis, vider ton bureau, ce serait te tuer une deuxième fois. Ce serait effacer ton essence. La culture, la culture, la culture.
Tu étais une pointure, tu faisais clairement partie de l'élite, tu étais à la fois un vrai manuel, dur à la tâche, et un vrai intellectuel, amoureux des arts. Je ne voulais pas te croire quand tu me disais qu'un jour j'aimerais la musique classique, mais je dois bien admettre que tu avais raison.
Tu me trouvais exceptionnellement intelligente, j'avais l'impression de ne pas être à la hauteur, que tu te méprenais sur moi, mais je ne te le disais pas, je sais bien que tu n'en aurais pas démordu.
Tu avais commencé à lire mes textes, et tu t'es mis à m'admirer encore plus.
Mon manuscrit doit toujours être quelque part dans tes affaires, je ne l'ai pas retrouvé.
Je ne l'ai pas vraiment cherché non plus.
Mes textes resteront chez toi, comme une partie de tes cendres restera chez moi. Dans le tiroir des choses importantes. Le marché est honnête, une alternative au pacte de sang des mômes.
Avant je pensais que si j'étais éditée un jour j'aimerais dédier mon livre à tous ceux qui n'avaient pas cru en moi, mais bisque bisque rage, c'est peut-être bien joli, mais à quoi bon, non, je sais maintenant que si j'ai la chance d'être publiée un jour c'est à toi que je dédierai l'ouvrage, à toi qui as cru en moi, toujours, sans faillir, parce que la revanche n'est pas un motif noble d'écriture, alors que me concentrer sur ce qui m'a été apporté de bon, et te rendre hommage pour tout ce que tu m'as offert sans même que je m'en rende compte, ce serait beaucoup plus fort.
Tu me manques.

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