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N'en jetez plus.
1 avril 2011

L'habit qui ne va pas, c'est pour mon papa, les plus beaux vêtements, c'est pour ma maman.

Un top New Look en taille 10 bleu marine en synthétique brillant, à dos nageur, volanté en haut, froncé en bas. Un petit débardeur vieux rose en coton, à fin liseré de dentelle noir, deux petits boutons ornementaux en nacre, trois fronces verticales le long de chaque côte, petit volant en bas également, provenance inconnue. Un petit top blanc en synthétique dans une matière curieusement élastique m'évoquant le maillot de bain, décolleté, froncé, couturé, fleuridentelé, MNG Suit. Moins mon style a priori, bien que tout réfléchi, je possède déjà quasiment le même en rose, l'effet différant, du coup. Le même exactement, en kaki cette fois. Un débardeur noir translucide rebrodé de sequins scintillants et de perles brillantes ton sur ton, formant des motifs de fleurs et de papillons, bas asymétrique pointu d'un côté, se reporter à la remarque jointe au vêtement précédemment décrit et inventorié, là, devant l'habit, de but en noir, ce n'est pas nécessairement quelque chose que je me vois porter. Un petit haut Kookaï en taille 0, sans manches et fort échancré, en V, gris souris dont la mère aurait fricoté avec une taupe, recouvert de tulle noir à plumetis, rubans à nouer sous le décolleté, volants gris souris taupe et tulle noir en alternance dansante dans le bas, le premier s'effaçant au milieu, à tout l'endroit du ventre, pour n'agrémenter que les côtés, façon carioca du soir, pour sortir, mine de rien. Un ensemble soutien-gorge string Princesse Tam Tam blanc cassé, sur lequel se baladent des geishas poétiques au milieu de branches couvertes de fleurs de cerisiers et des petits personnages à ombrelles en papier tout aussi asiatiques, entre dentelle écrue et noeud en gros grain marron glacé. Un caraco noir tout en dentelle et tulle, An'ge, taille 1 mais me paraissant tout de même relativement large, parcouru de petits motifs répétés à l'identique, à l'infini. Une bizarrerie noire non identifiée, pas au premier coup d'oeil du moins, sortie tout droit de l'imaginaire tordu des créateurs modeux des années 90, deuxième moitié, morceau de haut noir, à petit col montant, manches longues, mais ne couvrant que les bras, et s'arrêtant nettement au dessus de la poitrine, en triangle inversé, et le dos, se terminant par de longs cordons à nouer enroulés autour de l'absence de tissu, pour un look de geisha moderne, de danseuse techno post Ophélie Winter version classe, de Domina en voie de reconversion. Un caraco en satin délicieusement velouté, lie de vin, sensuel, à fines fines bretelles noires, assorties à ses trois petits boutons recouvert de tissu brillant, à sa fine dentelle, sur le décolleté et sous les seins, à sa bande de tulle épais mais transparent en bas, de marque Intimissimi, inconnue au bataillon mais qu'importe, pourvu qu'il soit doux, aguicheur, vénéneux. Un ensemble caraco et string en tulle transparent à rayures asymétriques vert anis, bleu turquoise et blanches, très estival et vif, un peu démodé aussi, vitaminé, fantaisie, lolita pop au saut du lit. Un haut brillant vert émeraude, tout recouvert de crocher ton sur ton, incrusté de petites perles rocaille tubes gris foncé scintillantes, Etam, taille S, mi soirée disco, mi diva tropicale, mi sirène à queue verte prise dans un file de pêcheur amoureux, oui j'ai conscience d'avoir dépassé la totalité proportionnelle du vêtement, mais un tel élan de kitsch vestimentaire saurait se satisfaire de trois moitiés, même si, décousu en bas, quelques longs points d'aiguille tirés me devront me faire le reprendre afin de lui rendre son allure initiale, non pendouillante et démissionnaire de la maille. Deux petits sachets en tulle noir, pochettes surprises, menus trésors. Dans la première, pléthore de vernis à ongles. Lavender Rain, Nivea. Prune Chic, Bourjois. Violet Tulip, Nivea. Rouge Venise, Bourjois. Cerise Noire, Bourjois. Sotbet Gloss, Nivea. Faute de frappe peut-être ? Cassis, Sephora. L'on en mangerait, de cette salade de fruits, et de fleurs. D'hypothétiques pétales de roses acryliques à s'en peindre le bout des doigts. Et justement, en parlant de plantes, de minuscules décorations en forme de fleurs, roses, violettes, écrues, au coeur brillant, à coller sur les ongles pour fignoler sa French manucure de femme distinguée, à détourner à la japonaise pour ressembler à une gokaru kawaii plus qu'à Loana se rachetant une virginité avec une parure de Belle des Champs de chez Tati, autant que faire se peut. Deuxième sachet, deuxième joie. Deux crayons pour les yeux Sephora, un kaki, un violet. Trois mascaras, Volume Nanodéfinition de Nivea, Cil Définition de Gemey Maybelline, Double Extension Beauty Tubes de L'Oréal. En espérant que je n'y sois pas allergique, comme à la plupart des mascaras, me faisant les yeux tout urticants, secs et à la fois prêts à pleurer, brûlants, le pied. Une poudre nacrée pour décolleté parfumée, senteur Classique de Jean-Paul Gaultier, avec miroir intégré sur le couvercle. Deux gloss Lèvres Scintillantes Chanel, un rouge assez vif, un rouge plus sombre.
Fin de l'inventaire névrotique et réjoui de mon sac tombé des nues, ou plutôt des mains de ma patronne, dans la réserve de la boutique, après un tri de sa part dans ses affaires, déterminant celles-ci comme non utilisées depuis des lustres, trop petites, plus suffisamment à son goût, pas assez son style, et ainsi de suite, et susceptibles de me plaire, ou de m'aller, ou les deux mon général.
Connivence, légère gêne, plutôt balayée par un sourire partagé, d'offrir, et de recevoir, elle aime faire le vide et se débarrasser de ce qui l'encombre, j'aime récupérer ce que l'on veut bien me donner.
Alors oui, je vais porter les affaires de ma patronne. D'aucuns trouveraient cela bizarre, malsain, sordide pourquoi pas, en n'ayant pas peur d'employer de bien grands mots pour des choses moyennes, de se glisser dans la lingerie de sa boss, d'avoir entre les fesses les ficelles de strings ayant appartenu à celle qui rédige mon chèque à la fin de chaque mois. J'admets que cela puisse déconcerter, heurter, que l'on puisse trouver cela inadéquat, sale, incongru, biscornu, mais moi, à vrai dire, cela m'amuse. Me plaît bien. Oserais-je dire m'enthousiasme, en me laissant aller à un mot quand même trop euphorique.
Je trouve la chose franchement rigolote, et ludique.
J'ai toujours aimé porter des vêtements ayant déjà vécu, sortis de friperies, de je ne sais où, de fonds de greniers ou de chez Emmaüs, portant encore des étiquettes en tissu cousues de colonies de vacances, Pierre Brillouet si tu lis ce billet, sache que sans t'avoir jamais connu je te salue, et que j'ai porté ton pantalon de pyjama à rayures blanches et bleues, revêtir des tenues qui en ont vu d'autres, des corps, des soirées, des peaux, des jours de classe ou de jeux, des fesses et des seins, des pieds et des mains, des gens sans visage, et sans nom, et sans âge. Pour le sexe, c'est plus facile, allez, un porte-jarretelles ou une robe ne peut masquer totalement l'identité de qui l'a balancé.
Je n'ai jamais trouvé dégradant de passer après quelqu'un pour le port d'un vêtement, contrairement à des nénettes de ma classe qui poussaient les hauts cris, apprenant d'où venait l'une de mes sapes dont elles s'enquéraient de la provenance, la trouvant bath, faisant un pas en arrière et retroussant les babines, la mine dégoûtée, comme si je me fournissais dans les poubelles et étant une petite miséreuse trop pauvre pour aller faire mes courses chez Pimkie comme tout le monde.
J'aime bien les habits qui ont une histoire. Même si je ne la connais pas. Payer trois sous des robes magnifiques, tomber par hasard sur un truc que je ne cherchais pas, qui ne ressemble à rien de connu, ni même de désiré, et dont je n'aurais jamais deviné l'existence. Dont je n'avais pas besoin, mais qui d'un seul coup me fait envie, une envie non coupable, parce que totalement abordable. Pour trois sous symboliques, pouvoir acheter la parure, et ce que la personne qui l'a portée avant a laissé d'âme dedans.
Ce n'est pas dans les vêtements copiés collés fac similés à se procurer de toute urgence parce que c'est la tendance pareils pas drôles que j'en trouverais, de l'âme, cousue au fond d'une poche intérieure, pendant le long d'un fil tiré.
J'ai un petit supplément d'affection pour ces vêtements, singletons foutraques sortis de tout contexte fashion, siégeant dans mon armoire, déjà quand ils ne m'évoquent personne. Alors imaginez quand ils me rappellent quelqu'un.
Je porte régulièrement des tenues de ma mère. Moins qu'à une certaine époque, mais cela arrive encore. Une jupe crayon léopard, des petites vestes courtes à manches ballons fleuries et de couleurs farfelues, jaune citron, corail, un pull beige nacré trop court, une robe en laine écrue achetée à Paris pour un mariage auquel elle s'était rendue toute mignonne avec son brushing de Farah Fawcett, un gilet Derhy noir à fleurs brodées très babouchka, à coupe un peu ringarde certes, mais assez joli passé le côté champêtre un peu trop prononcé, des jupes en laine que les protagonistes de Mad Men ne renieraient pas, une jupe en velours bleu des mers froides qui me tient lieu de queue de sirène irisée, et j'en passe, parce que je les oublie, déjà.
Nous n'avons ni le même caractère, ni le même corps, mais nos points communs sont évidents, nous employons les mêmes expressions en même temps pour un effet stéréo Chapi Chapo tout à fait cloche, nous rions parfois à nous rouler par terre après être tombées de nos chaises mouillées de pipi, amis de la poésie pardonnez-moi pour cette trivialité mal canalisée mais c'est la vie, vous faites pipi aussi, si je ne m'abuse, et avoir sur moi un vêtement qui a fait partie de la jeunesse de ma mère, pour continuer à exister dans la mienne, voilà qui me parle. C'est en quelque sorte un passage de flambeau, une autorisation à lui ressembler, le contraire d'un déni. Personne, je crois, ne souhaite voir une personne qu'il abhorre porter après lui des vêtements qui l'ont contenu.
Personne ne souhaite voir quelqu'un lui ressembler, lui succéder dans son apparence, dans son ancienne apparence, hériter de son allure, de son style, de sa personnalité, même après avoir souhaité en changer. L'on ne refile pas le bébé à quelqu'un que l'on ne voudrait surtout pas voir continuer à évoquer et diffuser une certaine image de soi, le rappel d'un lien, la mise en évidence d'une connexion, la permission de revendiquer une intimité, légitime, usurpée.
Comme l'on n'achète pas d'habits qui ne ressemblent pas à une idée que l'on voudrait donner de soi, qui pourraient constituer le costume du personnage idéal pour un jour ou toujours que l'on voudrait être, guerrière, héroïne, princesse ou muse, nymphette, candide, sage ou mutine, la vie et le fantasme allant avec l'objet et le tissu, la possibilité d'une façon d'être, plutôt qu'une jupe ou des souliers, l'on ne se rêve pas revêtant des tenues ayant appartenu à quelqu'un dont l'on n'a cure, ou pire, horreur. La beauté d'un vêtement surpasse rarement le symbole dont il est porteur, venant d'une tierce personne. Un vêtement vierge et neuf est neutre, impersonnel, un vêtement offert ou récupéré trimballe son bagage avec lui, et se transmet à qui l'enfile.
Ainsi frémis-je de colère contenue, comme outrée de dégoût, dans un rappel de rage ressassée, ramenée soudain par les roulis d'une vieille horreur ravivée, vague amertume qui se confirme et se reforme, à la vue impromptue d'une ancienne amie, déjà plus si nouvelle traîtresse, répudiée mais pas totalement rayée de la carte, en somme, vêtue d'étoffes qui ne me sont pas inconnues, mes poings s'en serrent, ma gorge s'en noue, mes jambes s'en dérobent d'impuissance et de regret, je n'aimais déjà pas, adolescente, quand de petites sottes inconnues à la personnalité en formation voulaient se baser sur la mienne pour calquer la leur, et déboulaient grimées en moi, ou telles qu'elles me voyaient, allant jusqu'à me faire honte de ma propre manière d'être, à force, à en vouloir leur céder ma place, alors l'irruption d'un souvenir en costume d'actualité, non, non, je voudrais récupérer ce qui fut à moi, au propre, et au figuré, les habits, et les actes, tout effacer, rembobiner, ce sentiment de boule de bile prête à être crachée, vomie, sous forme de râles assassins, non, non, je ne veux pas voir me ressembler cette ordure que je renie, je ne veux pas qu'elle puisse être associée à moi, de quelque manière que ce soit, dire qu'elle m'a connue, que je lui ai fait ce cadeau qu'elle porte, qu'elle revendique et brandit comme un étendard, c'est offensant, cela devrait être interdit, l'accord tacite d'assimilation est rompu, le pacte a expiré, les objets survivant aux amitiés salies devraient être détruits, brûlés, que personne ne me représente, que personne ne me singe, ne me raille, je n'ai pas besoin de ce genre d'ambassadrices pour se rappeler à ma mémoire aigrie et rancunière, merci. Sans autorisation écrite, paraphée et signée, tout contrat de prolongement de lien avec moi, sous forme d'imitation ou de ressemblance fortuite ou recherchée, devrait être déclaré nul et non avenant, sur le champ, partout, tout le temps.
J'en connais qui, sachant m'avoir perdue, ont tout fait pour garder un maximum de moi, si matériel soit-il, et, préférant couper tous les ponts, suspendus, précaires, en corde et rondins au dessus de précipices, pour ne pas que je puisse réclamer la restitution de mes affaires, se sont carapatées avec livres, gilets, bijoux, disques, s'y cramponnant comme si j'allais risquer de venir leur retirer leurs souvenirs avec, et dorlotant ces reliques, en ai-je eu l'écho, les archivant, ou les portant avec un sourire ému aux lèvres, témoignant de la joie d'avoir gardé un bout d'un nous bien désuet.
Les gens sont des vampires. Je ne le suis pas moins que les autres.
Je suis fétichiste, matérialiste, et collectionneuse. Personne ne vient de nulle part, et je pense bien être constituée, en parties, de morceaux de telle amie, de petits bouts de tel modèle, l'on se construit de qui l'on aime, tendant vers qui l'on admire, s'éloignant de qui l'on abhorre, le long de lignes directrices et de repères tangibles ou non.
Me glisser dans un vêtement hérité d'une amie chère, d'une femme précieuse, me galvanise un peu, me donne de la force, me fait me souvenir que des gens ont de l'affection, de l'estime, du respect pour moi.
Quand je porte une boucle d'oreille attrapeur de rêves de Valérie, ou ses bracelets ornés de mantras positifs, c'est avec son énergie positive que j'avance. Dans son mini short léopard blanc et noir c'est sa fraîcheur qui me fait sourire. Dans son débardeur à l'effigie, si je puis dire, du drapeau des Etats-Unis, c'est un peu à ses côtés que j'ai été draguée non stop au Hellfest par des métalleux qui me prenaient pour une américaine white trash, c'est comme si j'avais eu une complice qui me tenait par la main, gloussant en même temps que moi, toutes dents dehors, hilare et décomplexée.
Dans les robes de ma mère j'ai en tête son courage, ses valeurs, son inflexible droiture morale, ses principes, l'admiration que j'ai pour la bonne personne qu'elle est, appliquée, raisonnable, vertueuse, et pourtant bordélique, asociale, agaçante, irritable, désorganisée, mais toujours présente et prête à assurer, assumer, quand le besoin s'en fait sentir. Endurante, une vraie coureuse de fond, sans en avoir conscience.
Depuis peu je récupère des effets personnels de ma future belle-mère, j'ai porté son manteau en tweed par dessus mon blouson en cuir tous les jours où il a fait particulièrement froid ces derniers temps. Elle a un style beaucoup plus classique que moi, bien que se considérant comme excentrique par bien des aspects, et je décale un peu les affaires qu'elle me lègue de son vivant, mais je vois cela, quand même, comme une reconnaissance, une marque d'appartenance à la famille, à la tribu, j'en fais partie, et l'on partage avec moi. Elle aurait transmis ses vêtements à sa fille si elle en avait eu une, elle n'en a pas, mais je sais que c'est tout comme, l'amie de son fils est devenue un élément du clan. Je revois son air ravi que je le porte, ce manteau, comme elle l'a signalé à son mari avec une joie non dissimulée dans la voix.
Oui, je parle de transmission, venant de ces femmes que j'apprécie, et qui m'apprécie aussi, qui sont mes amies, mes modèles, mes mères, mes confidentes, mes guides, l'un ou l'autre ou tout à la fois, ou d'autres choses encore qui m'échappent et que je ne cherche ni à attraper, ni à enfermer dans des boîtes, mes fantasmes peut-être, sexuels ou pas du tout, je prends ces dons comme un passage de relais, de flambeau, comme la confirmation que j'ai avec elles des points communs, pour qu'elles pensent à moi pour telle veste, telle nuisette, tel pantalon, tant au niveau du style que du gabarit, parfois d'un gabarit que j'ai alors qu'elles ne l'ont plus, donc que je leur ressemble en quelque chose, et que cela ne les dérange pas, puisqu'elles me poussent à leur ressembler encore plus, en me confiant des choses qu'elles ont aimé porter. Toi que j'apprécie, qui me ressemble, et qui aime les mêmes choses que moi, je te donne ceci pour que tu puisses en profiter aussi, et je souris, voyant que cela te plaît et te va bien, et que j'ai eu raison.
C'est touchant. Gratifiant. Alors peut-être, pour en revenir au cas de la lingerie de ma patronne à porter sans gêne particulière à l'occasion, que l'on pourrait trouver cela à la limite de la perversion de ma part, j'en connais qui en auraient poussé les hauts cris et se seraient indignés, trouvant dans ce comportement la confirmation de mon état de reine des chiennes, je ne vise personne, je brasse large, je le comprends bien, mais je me sens un peu adoptée de par cette façon de ne pas être gênée, elle, justement, de me laisser porter des sous-vêtements à elle, de me laisser imaginer ses petites tenues, la forme de son corps dedans, à la vue des contenants et de leur manière de me contenir. De quoi donner des idées à tout partenaire masculin sexué, bien qu'il s'en défende, le mien, ou fasse semblant, vaguement, d'être un petit peu dérouté, effrayé à l'idée de confondre envie de moi et d'une autre, de la projection d'une autre sur moi, du satin d'une autre sur moi, de l'ombre d'une personne numéro trois sur nous, de son évocation, de son allégorie en dentelle suave.
Je vois probablement des symboles là où il n'y en a que peu, ou alors, des sens existants là où ceux qui les y ont mis ne les avaient pas vus. Il est vrai que j'analyse beaucoup les choses, mais j'ai des méninges, il faut bien qu'elles servent, et que je les remue. Cela ne mènera pas forcément quelque part, mais quoi qu'il en soit, le résultat ne serait pas différent si je ne donnais de sens à rien, il y a déjà suffisamment de gens qui agissent de la sorte.
Mon père par exemple, et par hasard, exemple par hasard, ou père par hasard, au choix ou à l'arbitraire, ce semeur aux quatre vents de moitiés de gènes qui me manquent comme seules peuvent manquer les choses dont nous n'avons ni idée, ni connaissance, ni indice, indécises, indistinctes, il serait complètement perdu, dubitatif et tout bête à la lecture de ce texte, qu'il ne manquerait pas de lire, de manière parfaitement indiscrète, s'il le trouvait à la volée oublié, ou oublié d'être planqué, sur un coin de bureau, il y a six ans, dans le champ des possibles, dans un ancien appartement loué par lui dans lequel j'aurais eu une chambre à lit en hauteur et des draps moches de môme, une lampe murale se pliant en accordéon, un canapé rayé, des BD de Tintin, il se dirait que je suis zinzin, qu'il ne vaut vraiment pas la peine de se pencher sur le cas mental de personnes aussi compliquées que moi, que des êtres tarabiscotés à ce point, cela ne devrait pas exister, qu'il suffit de ne pas se poser de questions, de prendre exemple sur lui, la bonne blague, la belle affaire, à ne surtout pas faire, poisson d'avril papa débile.
Je préfère penser pour rien que de ne penser à rien. Cela ne mange pas de pain, comme nous dirions, ma mère et moi, de concert quand pas grand-chose ne s'y prête.
D'ailleurs, des vêtements et bijoux de mon père, j'en ai, quand j'y réfléchis. C'est peut-être le seul qui m'ait donné quoi que ce soit en prenant des airs d'importance, cérémonieux, enrubannant ses cadeaux anecdotiques de paroles maladroites et pompeuses, quand les femmes m'offrent beaucoup plus, plus quantitatif, plus joli, plus significatif, plus intime, et sans faire ces simagrées, elles, sans avoir l'impression d'être la bonté en personne auréolée de gloire, avec couronne de laurier et statue en bronze sur la place publique, et je les ai moins portés, ses bidules, je les ai portés d'une manière plus détachée, en les tachant, les abîmant, sans le faire exprès, mais où la vengeance ne va-t-elle pas se nicher, sous les formes les plus mesquines quand elle ne peut attaquer à découvert et à bout portant, détériorer le symbole pour qu'il ressemble à ce qui n'a jamais été ni beau ni valable, j'ai perdu, je crois, sa bague chat en argent, j'ai manqué de faire de même avec son pendentif scorpion, signe, et peut-être la seule chose, j'espère, oh je l'espère, que nous ayons en commun, et si je l'ai encore, et le trouve fort joli, je rechigne à le porter, quant à sa chemise beige et blance, à rayures, difforme, trop grande, qui ressemble à un pyjama, à une blouse de peintre, je l'ai portée à l'adolescence, l'ayant constamment dans mon sac, pour servir de tissu de secours, de nappe de pique-nique improvisé, de chiffon de fortune, de protège-banc mouillé, de tout et de rien, de n'importe quoi et de pas grand-chose de plus, elle n'avait pas d'allure et je masquais à l'intérieur un corps en transition dont je ne savais que faire. Je l'ai prêtée à un autre imbécile, je ne crois pas qu'elle lui allait mieux qu'à moi, ou alors je ne m'en souviens plus, puis je l'ai récupérée, quand je me suis débarrassée de lui, et depuis, je ne l'ai plus vue, elle, la chemise. Lui non plus, du reste. Mon père, à peine plus.
Elle doit traîner dans un coin.
Lui, je sais où le trouver, mais cela revient au même, encore faudrait-il que je le veuille, le trouver. Il me protégerait moins que sa fripe.
Une histoire de rendez-vous manqués.
Je m'enroule dans l'amour des femmes, dans l'affection qu'elles me donnent, dans la séduction complice qu'elles me confient, et dont elles me font légataires sans jalousie, avec une bienveillance fière qui me nourrit et dont j'aime me sentir digne, je me parfume à leur odeur les premiers temps des habits encore nimbés de lessive, de placards, de crèmes cocons, de baumes caresses, j'ourle mes cils d'une gaine noire de séduction passive qu'elles partagent volontiers avec moi, en petite soeur je suis reconnaissante de ces élans de filles qu'elles ont pour moi, enfant unique mais membre sensible d'un si joli gynécée extensible.

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Commentaires
D
Parce que c'est dans une chanson, je crois bien.
C
j'ai pas tout compris... pourquoi les habits moches vont chez papa ?
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