Mon dictaphone a capturé le chant de cent pianos qui brûlent.

J'ai huit ans je joue aux billes à la marelle à la marchande à la princesse je mets des robes je me déguise je pleure pour rien je ris pour tout la barbichette ça me chatouille je sniffe la colle qui sent l'amande je boude quand tu me grondes je tourne en rond je fais des bulles de savon dans mon bain dans la rue je marche sur le trottoir sans poser le pied sur les intersections sinon je meurs j'ai faim j'ai froid je m'émerveille je veux une chose son contraire tout de suite et puis je passe à autre chose je ne sais pas faire mes lacets j'ai tout à découvrir.
J'ai quinze ans le cœur qui bat les mains qui tremblent je rougis pour un mot pour un geste quand tu me touches quand tu m'embrasses la bouche la nuit je mens le jour aussi je mange tout le temps je pense qu'à ça je pense à rien plus rien ne compte je me maquille je me protège tu me bouscules j'en redemande je rêve beaucoup je crois souffrir sans savoir que plus tard ce sera pire je regarde mon nombril je jacasse comme une pie j'ai la pêche le diable au corps les nerfs qui lâchent les portes qui claquent des points noirs des absences.
J'ai vingt ans je me voile la face je me contredis je me bourre la gueule je couche avec qui je veux avec qui je veux pas aussi je me restreins je me protège moins j'ai envie de toi partout tout le temps je suis sérieuse pour faire semblant je me transforme je stagne c'est la crise pour tout le monde chaque jour qui passe me roue de coups me blinde est le contre poison des illusions que j'ai pu cultiver j'ai pas le permis je me permets tout pourtant prends-en ton parti ou pars je te retiens pas je fume j'arrête je recommence j'étudie je dépense je veux je fais je regrette.
J'ai trente ans je suis sérieuse quand on m'y force plus dans l'énorme que dans les normes je me dépêche d'aller doucement je culpabilise mes songes tournent toujours autour de tes doigts courant sur ma peau mais j'ai plus l'âge d'en faire une priorité j'ai un but un loyer une facture d'eau à payer des responsabilités tant de mots barbares qui vont avec je trompe mon mec je suis seule je sors je vois du monde face à la glace je suis terrassée par tout ce qui fout le camp je sais que j'ai encore rien vu je souris tristement.
J'ai cent ans mes gencives saignent je compte mes dents les amis qu'il me reste et ceux qui ont clamsé déjà je raye leur nom dans mon carnet d'adresses un par un c'est lancinant à quand mon tour mes cheveux tombent moi aussi dans l'escalier parce que mes jambes se dérobent sous l'embonpoint qui me caractérise et que personne n'est là pour me soutenir je radote je mange liquide je paye liquide je chie liquide plus rien n'a de consistance c'est la débâcle je cherche mes mots je me plains je ploie je dors j'enterre mes utopies.

Comments

[kabotine]

j'adore cet article !
merci !

[NuitGravement]

C'est l'écriture que agite mon neurone.
Le fond et la forme en parfaite adéquation.
Avez-vous un secret ?