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N'en jetez plus.
21 octobre 2010

Prêtez-moi vos mots que je me les mette en bouche.

"Il y a des moments où c'est en moi comme un besoin, comme une folie d'outrage... une perversité qui me pousse à rendre irréparables des riens... Je n'y résiste pas, même quand j'ai conscience que j'agis contre mes intérêts, et que j'agis contre mon propre malheur..."

"Là-dessus, les histoires, les potins recommencent... C'est un flot ininterrompu d'ordures vomies par ces tristes bouches, comme d'un égout... Il semble que l'arrière-boutique en est empestée... Je ressens une impression d'autant plus pénible que la pièce où nous sommes est sombre et que les figures y prennent des déformations fantastiques... Elle n'est éclairée, cette pièce, que par une étroite fenêtre qui s'ouvre sur une cour crasseuse, humide, une sorte de puits formé par des murs que ronge la lèpre des mousses... Une odeur de saumure, de légumes fermentés, de harengs saurs, persiste autour de nous, imprègne nos vêtements... C'est intolérable... Alors, chacune de ces créatures, tassées sur leur chaise comme des paquets de linge sale, s'acharne à raconter une vilenie, un scandale, un crime... Lâchement, j'essaie de sourire avec elles, d'applaudir avec elles, mais j'éprouve quelque chose d'insurmontable, quelque chose comme un affreux dégoût... Une nausée me retourne le cœur, me monte à la gorge impérieusement, m'affadit la bouche, me serre les tempes... Je voudrais m'en aller... Je ne le puis, et je reste là, idiote, tassée comme elles sur ma chaise, ayant les mêmes gestes qu'elles, je reste là à écouter stupidement ces voix aigres qui me font l'effet d'eaux de vaisselle, glougloutant et s'égouttant par les éviers et par les plombs..."

"Le crime a quelque chose de violent, de solennel, de justicier, de religieux, qui m'épouvante certes, mais qui me laisse aussi - je ne sais comment exprimer cela - de l'admiration, puisque l'admiration est un sentiment moral, une exaltation spirituelle, et ce que je ressens n'influence, n'exalte que ma chair... C'est comme une brutale secousse, dans tout mon être physique, à la fois pénible et délicieuse, un viol douloureux et pâmé de mon sexe... C'est curieux, c'est particulier, sans doute, peut-être horrible, - et je ne puis expliquer la cause véritable de ces sensations étranges et fortes, - mais chez moi, tout crime, - le meurtre principalement, - a des correspondances secrètes avec l'amour... Eh bien, oui, là !... un beau crime m'empoigne comme un beau mâle..."

Le Journal d'une Femme de Chambre
, d'Octave Mirbeau.

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Commentaires
N
Le premier "échantillon" choisit retrace ma soirée d'hier, à faire de riens des montagnes. Mais je n'y peux rien, parce que ces "riens" pour les autres, sont des véritables tortures pour moi.<br /> Ça me donne "forcément" envie de lire tout cela en profondeur, surtout que les points de suspension au kilo, c'est mon dada !
D
Ce roman est assez inégal, la ponctuation est un peu lourde, avec ses points de suspension au kilo, mais la liberté de ton sur les moeurs de l'époque est plaisante et certaines phrases, fluides, et belles sans être alambiquées, m'ont vraiment parlé. Bouquin pas évident à catégoriser, mais sur lequel je suis contente d'être tombée.
I
Magnifique texte<br /> Entre les larmes aux yeux, admiration et mal au ventre
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